29 Octobre 2012
Cimetière de Carbon-Blanc
A la rencontre des âmes perdues. Vie et mort des monuments funéraires.
Les cimetières sont les albums de souvenirs des personnes disparues, que vous feuilletez pour les faire revivre comme si vous les aviez connues. Au hasard des allées, sur les sépultures, riches ou modestes, des noms de famille sont gravés sur de la pierre, des plaques de marbre, de granit ou, simplement, sur du bois. Pendant des années, beaucoup de tombes sont entretenues et reçoivent les visites des familles surtout pendant les fêtes de la Toussaint, chacun s’oblige à porter son chrysanthème et avoir bonne conscience envers. Au fil des générations, les visites s’estompent jusqu’à disparaître totalement. La tombe survit, seule dans un dépouillement total pendant de nombreuses années jusqu'à ce que les municipalités s’approprient l’emplacement, après avoir recherché en vain des descendants.
Flânerie dans le cimetière de Carbon-Blanc
En ce jour du 6 août 2009, Armand visite le cimetière de Carbon-Blanc. Féru d’histoire et de généalogie, il aime découvrir, lire les épithètes se rapportant aux familles et aux défunts. Il y retrouve l’histoire des familles et des personnes qui, en leur temps, ont participé à la vie de la commune. Cela peut être d’anciens maires ou des notables qui, à leur époque, ont été les vedettes des chroniques du village. Eux sont dans l’histoire. Les plus modestes sont certainement oubliés sauf des généalogistes en quête de racines.
La seconde mort du soldat Martin
Dans l’allée centrale du cimetière, Armand s’intéresse à un tombeau de belle architecture. Encore en état, entouré de grilles en fer forgé. Il s’agit de la sépulture des familles Vincent et Martin. Sur la première marche du monument, deux bouquets de fleurs artificielles, délavés par les intempéries et les ultra-violets, sont là depuis de nombreuses années. La tombe n’a pas été visitée depuis longtemps. À côté d’un des bouquets, une plaque de marbre, à l’origine de couleur blanche, fendue dans le sens horizontal, intrigue notre visiteur. Elle est tapissée de lichens et noircie par le temps. Un clou de bronze a laissé une trace verticale blanche. Une photo émaillée restitue le portrait d’un soldat de la Grande guerre. Il a fière allure dans son costume militaire ; il porte des petites moustaches et son visage est souriant. Armand décrypte avec difficulté la plaque. Il s’agit d’André Martin, né le 1er janvier 1896, tué à l’ennemi à Bois de Frières (Aisne), le 23 mars 1918 à l’âge de 22 ans. Quatre vingt et un ans plus tard, le soldat va-t-il disparaître de nouveau ? Sûrement. Il ira rejoindre la grande majorité des anonymes dont on a tout oublié. Son sacrifice sera méconnu pour toujours. Adieu soldat Martin.
Tombes oubliées
Un peu plus loin, dans la même allée, Armand découvre un caveau dont la croix fracassée est tombée de la stèle en forme de cippe sur la partie basse de la sépulture. Il peut encore lire le nom de la famille. Il s’agit du tombeau de la famille Fouquet de Pantelet, un patronyme qui semble venir de l’aristocratie. Pas de noms de morts, ni de dates. Est-il occupé ? Oui, pense Armand, quelques fleurs en porcelaine, agglutinées sur la première marche du monument, semble le prouver.
Un peu plus loin, à droite, Julie Moulin (1897-1973), dotée d’une simple pierre tombale pour marquer l’emplacement de sa sépulture, n’est plus visitée depuis bien longtemps. Deux petits pots sans fleurs jouxtent une petite plaque où l’on peut lire « à notre mère ».
A quelques mètres de là, une croix en fer forgé plantée sur un petit socle pierre est entourée de terre ; par dessus repose une vieille couronne de fleurs artificielles dégradée. Une petite plaque où est gravé le nom de Jean Delage (1880-1966). Aujourd’hui, seul Armand s’intéresse à lui ; et l’espace d’un instant, son nom est à nouveau prononcé, peut-être pour la dernière fois.
L’oubli des morts semble inéluctable, les années et les siècles font leur travail de sape pour le commun des mortels. Ne reste que l’Histoire qui retient des personnages devenus immortels.