10 Juin 2013
Vérité scientifique ou scénario apocalyptique ?
Bordeaux 15 août 2098
Baptiste 91 ans né au début du siècle, traîne dans son appartement, il a dans ses mains une très vielle revue, il s’agit d’un magazine scientifique (sciences & vie) de juillet 2008. Interloqué par l’un des articles sur la montée des eaux dû au réchauffement climatique où les scientifiques de l’époque sonnaient l’alarme sur des scénarios catastrophes qui finalement se sont avérés exacts. Il se souvient de son grand père ce doux rêveur, cet écologiste un peu farfelu qui lui avait expliqué lorsqu’il était adolescent de l’avenir catastrophique de la terre si l’homme continuait à polluer comme il le faisait. Malgré les efforts des pays occidentaux pour diminuer les gaz à effet de serre, les pays émergents à la démographie galopante ont continué à accentuer fortement le processus. La conséquence fut dans la première moitié du XXI siècle, la fonte totale des glaciers aux pôles, au Groenland, ceux des montagnes ayant disparus depuis belle lurette et la lente montée des eaux. Le phénomène ne fut stabilisé que dans les années cinquante.
Les anciens quais et magasins inondés / Au fond la nouvelle ville / A l’horizon l’ancien port de Bassens sous l’eau
La fin d’une civilisation
Après la grande crise économique de 2020 liée à la fin de l’approvisionnement du pétrole tout s’est écroulé, plongeant la terre dans un chaos extrême. Les guerres, la famine, les grandes pandémies, les catastrophes écologiques firent des millions de morts. Les conséquences furent la destruction de l’Europe politique et économique et des nations et comme durant les cités grecques de l’antiquité, il n’y eut plus de pouvoir central mais chaque grande ville prie son indépendance. Le 20 juin 2050 Bordeaux devint un état libre, doté d’un gouvernement et d’un président environnés de villes satellites de l’ancienne Aquitaine soumises à son autorité. Quelques années plus tard, elle intégra la fédération du grand Sud-ouest mais elle garda son autonomie. Elle s’agrandit considérablement occupant en superficie ce que l’on appelait autrefois l’Entre-deux Mers. La rive gauche a été délaissée au profit de la rive droite plus sûre au niveau géophysique. Aujourd’hui elle compte plus de 4 millions d’habitants dont plus de la moitié sont des réfugiés d’origine Hollandaise, leur pays ayant été submergé par les flots. Baptiste habite dans les quartiers huppés de la ville ou les buildings ont poussés comme des champignons. Son logement est situé au trente cinquièmes étage d’un immeuble qui en comporte plus de cent. Il se dirige vers son balcon avec vue sur le quartier historique de Bordeaux. Le temps est magnifique, le soleil éblouissant, le ciel est bleu d’azur et il fait déjà 22 degrés à 8h00. Devant lui s’étend à la place de la Garonne un bras de mer de plusieurs kilomètres de large. En face de lui la place de la Bourse brille de mille feux construite au XVIII siècle et inaugurée en 1779 sous le nom de place Royale. Protégé par des digues, le triangle d’or a survécu à la montée des océans. Baptiste se remémore l’histoire tragique de sa ville.
Tragédie
Le pont de Pierre était l’âme vitale de l’agglomération il s’est écroulé en 2042, il n’a pu résister aux puissantes marées, seul le pont d’Aquitaine est toujours en service, l’accès rive gauche a été surélevé par un viaduc dans les années 60. Aujourd’hui il suffit largement pour écouler le trafic routier, constitué de véhicules électriques ou à hydrogène. Le coût élevé des automobiles empêche la majorité de la population d’en acquérir. Du pont Chaban-Delmas inauguré en grande pompe le 16 mars 2013 ne subsiste aujourd’hui que les quatre colonnes pointant fièrement leurs flèches vers le ciel comme un défi à la nature. Le tablier sous les eaux pointe son nez lors des très basses marées.
Renaissance
Pendant la lente montée des eaux, beaucoup de gens durent abandonner leur domicile. Ils furent cantonnés dans des camps improvisés dans les campagnes environnantes du côté de Sauveterre de Guyenne. Après des années de misère, de famine et des centaines de morts la situation économique s’améliora. Bordeaux se remit à faire du commerce avec les autres villes d’Europe continentale moins touchée par la crise. Une fois de plus le vin est à l’origine de sa renaissance même si des grandes propriétés avaient disparues en particulier dans le Médoc. Avec l’aide de Toulouse autrefois sa grande rivale qui a résisté à la crise et a gardé une industrie suffisante pour survivre, elle a mis en place de grandes zones artisanales et industrielles localisées dans le secteur de Targon, grâce à son nouveau port, la production des produits manufacturés est exportée par voies maritime vers les ports du monde entier du moins ceux qui ont résistés à l’envahissement des eaux. Des zones agricoles implantées dans tout le sud-ouest produisent suffisamment de denrées pour nourrir la population ceci en partie à cause de l’abondance des pluies due au réchauffement climatique. Le surplus est expédié aux survivants des pays anéantis par la famine moyennant l’exploitation de la richesse de leur sous sol. Une grande gare construite à la place du centre commercial de Lormont permet d’atteindre toutes les destinations du grand Sud-Ouest. De nouvelles lignes sont en construction et la plus avancée est la desserte de l’île de France avec sa capitale Paris. De nombreuses lignes de tramways qui desservent toute la rive droite convergent vers la gare .Tous les matins des milliers d’actifs affluent pour prendre les transports qui les emmène sur leur lieux de travail pour certains dans les nouvelles usines ou dans les zones de production agricole. Tout ce qui est administratif se retrouve en plein centre ville dans le quartier de Créon.
Jour de fête
En faisant le bilan de ce siècle catastrophique, des larmes ont embuées les yeux de Baptiste. Mais aujourd’hui c’est la sainte Marie, c’est un jour de fête. La ferveur des chrétiens ne sait pas démentie pendant toutes ses années. C’est dans la religion porteuse d’espoir que les gens ont cherché du réconfort. La confession musulmane est repartie vers ses lieux d’influence historique. Baptiste s’apprête à quitter son domicile pour aller rejoindre son petit fils Kepa qui habite un studio situé cours du Chapeau Rouge. C’est le seul survivant de la famille dont tous les membres ont disparu, emportée par la souffrance et la misère. En bas de son immeuble chemine une splendide corniche bordée de palmiers où les promeneurs en fin de journée viennent admirer le coucher de soleil éclairant l’écrin de l’ancien Bordeaux laissant apparaître ce bijou architectural chef d’œuvre de l’homme. Un petit bus électrique amène Baptiste au bas de l’avenue Carnot au pied de l’ancienne mairie de Cenon. C’est ici l’un des points de départ pour le centre historique de la ville. Sur un quai nouvellement construit des bâteaux emmènent les voyageurs toutes les ½ heures de l’autre coté du rivage. Pendant la traversée Baptiste mesure toute l’immensité du nouveau lit de la Garonne dont la largeur à cet endroit est de 3,5 kms, il arrive au pied du quai Richelieu. Beaucoup de monde aujourd’hui malgré la chaleur étouffante. Kepa est déjà là. Aujourd’hui sera pour tous les deux une journée de loisirs dans la vielle ville entièrement piétonnière, seul les vélos et quelques bus électrique y circulent. Baptiste au crépuscule de sa vie savoure ce moment de bonheur, comme un dernier cadeau de la vie après tant de souffrance. Une nouvelle civilisation est en route.
Beñat Lasserre
Sources : Sciences & Vie de juillet 2008 N° 1090 – Réchauffement : Et si la mer montait de 3 mètres
Toutes les cartes simulant l’élévation du niveau des mers sont consultables sur :
http://mondedurable.science-et-vie.com/